PHNOM PENH
Nous n’avons pas traîné
ce lundi 30 janvier. Nous avons fait le plein d’eau et la vidange de la
cassette avant d’approcher de la capitale, Phnom Phen. Alors que nous avions eu
des routes en bon état jusqu’à présent, nous nous retrouvons, tout à coup, sur
de la terre battue et des cailloux ! Il est parfois même difficile de
croiser les véhicules venant d’en face… Nous sommes encore dans les
travaux ! Décidément !
Nous croisons toujours de nombreuses vaches...:
... ou alors, ces étranges tracteurs "taxi":
Nous entrons enfin dans la
ville et nous approchons du cœur historique. Samuel me soumet l’idée de nous
approcher d’un grand site touristique, car nous aurons au moins la place, en
principe, de nous garer… qui dit touristes, dit cars donc parking. J’opte pour
le Palais Royal. Bonne pioche ! Nous trouvons un parking peu utilisé par
les cars mais d’avantage par les locaux. Il est surveillé, ce qui est plutôt
bien, car la délinquance ici est un peu plus présente qu’ailleurs… Un dollar la
journée ou quatre pour la journée + la nuit. On vient d’avoir un aperçu des
rues de la ville, de son manque de stationnements et franchement, sur ce
parking, très bien situé, un peu en retrait de la rue, donnant sur un parc
pour enfants..., nous n’hésitons pas longtemps. On restera là au moins pour
cette nuit, et si tout va bien, les nuits suivantes !
Il est 14h20 lorsque
nous sortons de Bul, à la recherche d’un endroit où se restaurer.
Sur notre
route, nous découvrons le FCC, ancien café où les journalistes étrangers se
retrouvaient, qui occupe un magnifique bâtiment colonial.
Nous tentons d’être
le plus « efficace » possible et ainsi ne pas perdre trop de temps.
Nous voulons visiter le Palais Royal dès aujourd’hui, mais les visites se
terminent à 17H. Après avoir fait taire nos estomacs, nous nous présentons au
guichet une heure avant la fermeture…
Une heure pour tout visiter, cela nous semble un peu juste mais on nous
informe de l’inverse ! Soit ! On achète nos billets, 10 $ par
personne soit 40 fois plus cher que le billet vendu aux personnes d’origine
Cambodgienne, en espérant avoir le temps de visiter.
Sur la façade du
Palais, la photo de l’ancien roi décédé.
Le Palais est la
résidence officielle de l’actuel roi Sihamoni (nouveau roi depuis 2014), seul
un «petit» domaine est visitable. Nous ne pourrons pas découvrir la
salle du trône, dont les portes sont certes ouvertes mais non
franchissables ! Nous nous hissons sur la pointe de nos pieds afin de
tenter d’apercevoir un maximum de cette magnifique salle, inaugurée en 1919,
inspirée par une des tours du Bayon à Angkor, et malheureusement endommagée par
les Khmers rouges.
La version peinte:
La version originale:
La salle du trône de côté:
Détail du toit:
Des annexes:
La Pagode d’argent,
appelée ainsi à cause de son sol recouvert de 5000 dalles d’argent pesant
chacune 1kg, bâtie en 1892, fut préservée par les Khmers rouges mais la moitié
de ses trésors a été volés, détruits ou perdus… tout de même ! A
l’intérieur, on découvre un premier bouddha d’Émeraude qui serait en baccarat…
J’avoue, au risque de faire crier certains, ne pas le trouver beau. J’ai plutôt
la sensation d’avoir en face de moi, un bouddha en plastique vert !... Par
contre, un autre bouddha attire mon attention : Il a été finement
travaillé comme le drapé de sa robe, et a été réalisé en 1907. Il est en or et
pèse 90kg ! Il est également orné de 2086 diamants, dont un de 25 carats
fixé sur la couronne ! Une splendeur ! Malheureusement impossible de
prendre des photos... !
Nous continuons notre
visite, par les autres temples et les tombeaux des précédents rois.
Il y a un certain calme entre ces murs et nous flânons dans les allées. 17h à sonner depuis 15 minutes, mais personne ne nous demande de partir alors on profite des fleurs…
Et du chaton !
En cette fin de
journée, nous rentrons à pied chez nous… il nous faut simplement traverser la
route !!! Et Lila fonce se dégourdir les jambes au parc qui abrite une
très belle aire de jeux ! C’est d’ailleurs le rendez-vous des locaux en
fin de journée ! Certains font du sport, jouent au badminton, surveillent
leurs enfants en équilibre sur un toboggan, ou échangent leurs premiers mots
d’amour ! Bref, le parking et le parc se remplissent très vite et se
vident progressivement à 21h.
J’avais peur d’être
réveillée par le bruit constant de la circulation mais, les rues deviennent très
vites silencieuses. Surprenant pour une capitale ! Je n’imagine pas ce
même calme, sur la place du Trocadéro ! Seuls les derniers amoureux
viennent perturbés le silence, par leurs rires ou conversations.
Nous avons prévu
aujourd’hui de visiter le musée national, ensuite le marché russe et pour finir
nous promener dans les ruelles des galeries d’art.
Le musée est à 15
minutes à pied, ce qui permet à Lila de courir après les pigeons, afin de les
faire s’envoler…
Nous débutons la
visite du musée, à exactement 11h24 par cette photo :
Volets en bois dans le musée:
Lila nous questionne
beaucoup, sur la nature des statues et je tente de lui fournir les
renseignements désirés le plus simplement possible. Certaines pièces sont
splendides !
Cette statue couchée était à l'origine recouverte de pierres précieuses sur certaines parties du corps comme la bouche, les sourcils, le col de vêtement... Elle est l'une des plus grande statue d'Asie. Il ne reste que le haut du corps.
Ceci est un bateau:
Certaines proviennent
des temples d’Angkor, ce qui me permet de lui rappeler ce qu’elle a vu quelques
jours plus tôt, comme ces statues de la citadelle de femmes :
Une très belle collection de bouddhas :
Nous avons loué, à
l’entrée du musée, un appareil audio-guide pensant nous être utile… Et c’est le
cas! Samuel et moi en profitons durant les 45 premières minutes, puis Lila se l’accapare !
Mais à ma grande surprise, il ne s’agit pas seulement d’un jeu puisqu’elle
comprend une partie des explications et nous en fait part !
Lila en pleine
concentration.
Nous ressortons 2
heures plus tard, les jambes fatiguées, du musée ! Avec le recul, je suis
assez impressionnée par ma fille, par sa concentration, par sa patience et son
endurance ! Elle ne criait pas, ne courait pas (trop !), et se tenait
bien… Et sa curiosité, certes un peu fatigante et prenante des fois, lui a
permis d’appréhender à sa façon toutes ces sculptures khmères. Je ne sais pas
ce qu’elle en a retenu (certains souvenirs reviennent à la surface des jours,
voir des semaines plus tard !), mais j’aime la voir approcher ainsi l’Art
et l’Histoire sans frein.
Il est 13h50 quand
nous trouvons un restaurant ouvert mais surtout ayant encore à manger… Pour les
vendeurs ambulants, c’est loupé… on arrive trop tard ! Nous trouvons donc
refuge dans le restaurant Friends, qui propose d’excellents tapas ! Vous
allez me dire que nous ne faisons pas dans la cuisine « locale »,
certes, mais en plus d’avoir bien mangé, nous faisons une bonne action !
En effet, ce restaurant aide les enfants des rues (malheureusement nombreux au
Cambodge et surtout dans les grandes villes) à sortir de leur précarité en leur
offrant un travail dans la restauration.
15h… déjà ?! le
temps file ! Pour le rattraper un peu, nous prenons un tuk-tuk, direction
le marché russe, bazar étouffant et incontournable… aux dires des guides
touristiques !
Certes ce lieu est étouffant, avec ses micro-ruelles où une
personne à la fois parvient à se frayer un chemin ; l’odeur est moite, chargée
de la poussière des rues et des fibres de tissus, de la graisse mécanique et de
la cire de bois… Mais une fois passées les premières minutes, on se surprend à
chercher, à fouiller du regard ce qu’il serait bien ou utile de rapporter. On y
trouve de tout ! De la vaisselle, du tissu, des objets en bois, en laque
et en argent, des DVD et des CD… On trouve de tout sauf… des Russes ! En
fait, ce marché fut nommé ainsi par les étrangers car les expatriés soviétiques
y faisaient leurs courses dans les années 80.
Il est 17H55, quand
nous rejoignons Bul. Nous ne ferons pas aujourd’hui les ruelles, nos pieds ont
suffisamment piétiné ! Lila a encore de l’énergie, et file pendant 30
minutes se dépenser au parc. Pour ma part, je file sous la douche avec un
plaisir infini !!!!
Le soir nous restons
tranquillement dans Bul. Nous préférons nous reposer et préserver un peu nos
tongs !!!
Nous sommes le
mercredi 1er février, et nous allons nous séparer pour la matinée.
Samuel entraîne Lila dans les librairies (ce qu’elle aime beaucoup !) et
lui fait découvrir les belles échoppes de la capitale. Quant à moi, je pars
visiter le Musée Tuol Sleng ou Musée du Génocide. Samuel l’avait vu lors de sa
venue en 2009… Et Lila est encore trop petite pour voir ça. Il s’agit
malheureusement d’une page sombre de l’histoire du Cambodge.
En 1975, les forces
armées (Khmers rouges) de Pol Pot firent du lycée Tuol Svay Prey, la prison de
haute sécurité S-21, qui devint très rapidement le plus grand centre de
détention et de torture du pays.
Chaque prisonnier qui arrivait au camp, était
photographié, immatriculé, déshabillé, enchainé aux autres, torturés et enfin
attendait le moment de son supplice. Les registres, où chaque exaction était
répertoriée, ont été en partie brulés. On estime entre 12 000 à 20 000
personnes torturées dans cette école. Mais qui étaient-elles : des hommes,
des femmes, des enfants. Seulement des individus qui ne plaisaient pas au
partie car trop intelligents, trop artistes, pas assez … en fait, n’importe qui
pouvait y être incarcéré, mais n’en ressortait jamais vivant. Seulement 7
personnes ont pu y réchapper. A partir du moment où vous étiez arrêtés, les
gardiens devaient vous faire avouer à n’importe quel prix vos fautes. Et puis
selon Pol Pot, il valait mieux « tuer un innocent », plutôt que de
laisser un traître dehors ! Avouer n’importe quoi, mais avouer afin de
connaître le réconfort de la mort. Il y eu des Cambodgiens, des Américains, des
Français, des Australiens et des Néo-Zélandais. Dans la démence de Pol Pot et
de ses sbires, les bourreaux furent aussi accusés de complot et à leur tour,
torturés au S-21. Voilà le vécu de ces prisonniers.
Lorsqu’en 1979, l’armée
Vietnamienne pénétra dans la capitale pour la libérer de ce tyran, elle
découvrit l’horreur entre ces murs. Il restait encore 14 corps dans leur
cellule, tués à la hâte par les khmers rouges avant de s’enfuir. 14 tombes
blanches, sans noms.
Cette école est dans
la ville, pas éloignée. Le transfert des prisonniers se faisaient de nuit, pour
éviter le regard de la population. Mais comment couvrir les cris ? Les
prisonniers étaient priés de garder le silence lorsqu’ils se faisaient
torturés ! Mais c’était impossible, alors on mettait simplement la musique
à fond…
Les gardiens placèrent ces barbelés le long des couloirs... ce n'était pas pour prévenir toute évasion mais afin d'éviter un maximum les suicides.
Je prends là encore,
un audio-guide. Dans mes oreilles, la voix chaude et douce d’un jeune
Cambodgien né en 1980, raconte sans aigreur, sans rancune, sans pathos. C’est
troublant. Mais c’est entre ses murs, que ce peuple a pleuré, souffert et
décidé de vivre malgré tout. A quoi sert la revanche ? Tourner la page, ne
pas oublier, seulement vivre enfin en paix. Le bourreau d’hier est aujourd’hui
un charmant voisin paysan.
Ce voyage dans
l’infâme a été dur, bouleversant, limite vomitif. Je m’étais préparée mais voir
tous ces visages sur photos, ces cellules… L’atmosphère qui y règne est à
l’image de ce peuple, paisible et pas morne. On ressent par contre, la douleur
et le mal-être de l’étranger venu ici pour comprendre et apprendre. Et puis une
lumière inattendue, un cadeau de la vie : un des 7 survivants est présent,
il dédicace un livre qu’il a écrit. Il a survécu car il était artiste-peintre
et a été utile à la propagande de Pol Pot. Sans ça, il serait mort comme sa
femme. Afin, de ne pas oublier, il a peint ce qu’il a vécu ou ce qu’ont subi
les autres prisonniers. Son nom : Bou Meng.
Je ne peux rien lui
dire. Ma gorge est trop serrée et aucun son ne peut en sortir. J’achète son
livre, c’est tout ce que je peux faire. Simplement un discret "Or Koun" (merci), et je quitte cet homme aux cheveux blancs
qui a vécu tant de souffrances invisibles au regard humain.
Je marche, je repars
à ma vie… Moi, fille de 1979. Et cette pensée me vient : Si j’étais née
ici, quel aurait été le sort de mes parents ? De quel côté auraient-ils
été ? A une époque, où il valait mieux dénoncer qu’être dénoncé ?! Et
quel est l’histoire du chauffeur du tuk-tuk, âgé d’une cinquantaine d’année,
qui me ramène auprès de ma famille ?
Les 45 minutes qui
suivent sont à moi et à mon silence. J’attends Samuel et Lila pour le déjeuner
et j’avoue apprécier ce « sas de décompression ». Ma famille arrive,
me sourit, une larme s’échappe du coin de mon œil… la vie reprend, notre voyage
aussi.
Je ne sais pas vous,
mais j’ai besoin d’un peu de légèreté et d’une promenade !
Le long du fleuve mais malheureusement très sale:
Location d'un pèse-personne...:
A travers les rues :
Petite note de rappel française!
Samuel prend
les choses en main, et nous fait marcher pendant près de 4 heures dans toute la
ville ! Pour arrêter de cogiter, il n’y a pas mieux !!! Au programme :
le Vat Phnom et le brouhaha des fidèles,
Les fidèles donnent à manger aux esprits afin de les remercier pour leur réussite:
le bâtiment du gouvernement Cambodgien
et son architecture impressionnante,
une pancarte et sa note humoristique (enfin, pour nous !),
enfin un coucher de soleil au stade olympique et son un match de foot.
La ville est en pleine construction avec d'énormes barres d'immeubles
Des centaines de personnes viennent autour du stade se détendre après leur journée en faisant du sport ou en mangeant dans un des nombreux stands:
La journée s’achève,
on rentre éreinté en tuk-tuk. Douche, repas et dodo : fin du
programme !!!
Nous sommes le jeudi
2 février et nous quittons la capitale. Nous voulons rejoindre la côte sud du pays.
Il n'est pas bon d'être un cochon par ici!
Mais avant, nous voulons nous arrêter à un dernier endroit… Samuel tient
à visiter le camp d’exécution de Choeung Ek. Il s’agit des prisonniers retenus
au S-21 qui, une fois leurs « aveux » faits, étaient exécutés et
enterrés ici. Je reste cette fois avec Lila. Elle s’amuse et dessine, pendant
que je lis. Bref, nous nous occupons à l’intérieur de Bul. Je lui explique ce
qu’on est venu faire ici, et pourquoi elle ne peut pas accompagner son père.
Difficile d’expliquer la folie des hommes à une enfant. Mais elle comprend,
elle comprend aussi que son papa risque d’être un peu triste quand il reviendra
mais qu’il sera si heureux de la revoir. Plus d’une heure s’écoule, quand la
porte s’ouvre. Lila se précipite et avec sa petite voix aigüe demande à son père :
« Tu es triste, papa ? ». Samuel sourit doucement, embrasse sa
fille. On se regarde. On s’embrasse. Une gorge serrée. C’est tout. Pourquoi
vouloir s’infliger ça ? C’est l’histoire de ce pays, on ne peut l’ignorer.
Ce génocide et le bombardement américain… sans oublier les mines que l’on
retrouve, encore aujourd’hui, enfouis dans les champs. C’est aussi une sorte
d’hommage rendu à ceux qui sont morts afin de ne pas les oublier. Samuel et moi
en avons discuté. Nous ne sommes jamais allés en France ou en Allemagne sur les
lieux où se sont déroulés les monstruosités de la seconde guerre mondiale. Mais
c’est important d’être confronté à la noirceur de l’être humain, de savoir
jusqu’où elle peut aller. Elle est là, un peu en chacun de nous. Je vais être franche :
à l’adolescence, lorsque mon professeur nous a appris les détails de la guerre
39-45, j’ai pensé que jamais je n’aurais pu être une collabo, une nazi… Mais
aujourd’hui, je n’en sais rien, j’ignore qui j’aurai pu être. Ce ne sont que
des mots que certains trouveront ronflants et au contraire bien simplistes,
mais au-delà de ça, je les ai ressentis hier… pas uniquement pensés. Et d’une
certaine manière, je commence un peu à comprendre ce peuple d’Asie.
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